Je vois de nombreux articles en ce moment, passer sur les réseaux sociaux avec des titres qui me font un peu bondir et réagir. Je lis que les Terminales se sentent en vacances après le mois de mars et ne travaillent plus, ayant passé les épreuves de spécialités (qui représentent de gros coefficients au baccalauréat).
Oui, mais le grand oral alors ?
J’ai beaucoup d’élèves de Terminale avec qui je travaille dans mon agence de soutien scolaire, et je peux vous assurer que nous ne sommes pas en vacances. Nous travaillons même pendant les vacances de printemps, pour appréhender cette épreuve, écrire le discours, travailler la rhétorique, l’art de l’éristique et l’éloquence et ce n’est pas une mince affaire.
Et oui ; car cette épreuve est un magnifique exercice quand on prend la peine de s’y intéresser un peu.
Je commence cet apprentissage avec un cours sur la théorie en leur montrant un exemple de discours. Nous décortiquons et analysons la construction de ce discours et faisons de l’art oratoire. J’apprends aux élèves les différents types d’exordes, comment faire une introduction éloquente, comment construire ensuite leur propre discours, qui doit être une véritable argumentation et non un simple exposé scolaire. Nous étudions des discours politiques pour voir les différentes formes de péroraisons et de pointes qui mettent un point final à leur discours et montre une vraie maitrise de l’éloquence. Nous travaillons les effets de style du discours mais également le fond du texte, avec de nombreuses recherches sur les sujets qu’ils ont choisis.
Et puis vient l’entrainement, la pratique. Nous travaillons sur la posture, la voix, le regard, la respiration, les gestes parasites, les tics de langage avec de nombreux exercices empruntés au théâtre. Nous travaillons la diction. Les élèves passent devant leur camarade pour présenter leur introduction et nous tapons dans les mains à chaque tic de langage, et tapons des pieds à chaque « du coup », ou « voilà » pour prendre conscience de notre propre parole. Je fais moi-même parfois l’exercice du grand oral pour leur montrer un modèle. Comme je le répète souvent, rien ne vaut l’exemple. Nous n’oublions pas les exercices d’argumentation, avec un vrai cours d’éristique et de science du débat en utilisant notamment les stratagèmes de Schopenhauer pour avoir toujours raison. Inutile de vous dire la joie et la motivation d’un adolescent face à ce sujet. Ils sont passionnés. J’ai même une année, reçu un message d’une jeune fille qui venait de faire le stage me disant : « merci Juline, c’était passionnant. On apprend enfin des choses qui vont nous servir dans la vraie vie ». Bien sur qu’ils sont heureux d’apprendre ce qu’est un argument d’autorité, un argument ad hominem, une métaphore favorable et défavorable, une association dégradante, et comment retourner ces arguments quand on les utilise contre vous, autant pour construire leur discours et préparer l’entretien avec le jury que pour leur vie future.
Et pour finir, nous apprenons comment gérer le stress, comment fonctionne le cerveau, quelles zones du cerveau s’allument quand nous sommes stressés et qu’elles sont celles que nous devrions en fait allumer pour gérer cette situation. Je leur enseigne quelques petites techniques pour hacker le cerveau et revenir toujours en préfrontal, dans la partie adaptative et non dans la partie automatique, incapable de nous aider dans ces moments de trac ; un apprentissage utile pour le grand oral mais surtout dans la vie de tous les jours.
Alors non ! Je ne suis pas d’accord ; les élèves ne sont pas en vacances et ne se sentent pas en vacances pourvu qu’on leur propose un vrai apprentissage, vivant, concret, utile, pourvu qu’on les prépare sérieusement à une épreuve qui met en avant l’éloquence, l’art oratoire et la communication. Et l’éloquence, ça s’apprend et cela se travaille.
Alors, oui , il faut sortir de sa zone de confort. On ne peut pas enseigner l’éloquence en restant assis à un bureau ou devant un tableau blanc en face d’une classe sagement disposée en rangée en faisant un cours magistral. On ne peut pas dire non plus à des élèves (comme je l’ai parfois entendu) « débrouillez-vous, faites vos recherches, le grand oral je ne m’en occupe pas ».
Le grand oral, ça parle, ça bouge, ça teste, ça chamboule parfois, ça émeut, ça stresse, ça fait rire, ça prend le cœur, ça prend la tête parfois mais c’est une sacrée belle épreuve qui leur permet de développer de magnifiques compétences. Il faut prendre le temps de l’étudier, de se renseigner et d’apprendre nous aussi en tant qu’enseignants. Tout ce que je montre aujourd’hui aux élèves, je ne le connaissais pas il y a 5 ans. J’ai lu, je me suis documentée, je me suis formée, j’ai craint de ne pas savoir, de ne pas être à la hauteur, je me suis remise en question, j’ai lu et cherché de nouveau pour les préparer au mieux à cette épreuve. J’utilise les mêmes techniques pour préparer mes élèves de CAP à l’épreuve orale du chef d’œuvre.
La posture de l’enseignant est la clef dans cette histoire. Si nous leur montrons que nous sommes passionnés et que nous avons encore beaucoup de choses à leur apprendre, les vacances attendront.