Et oui c’est la rentrée et avec elle, son lot d’articles et de reportages sur l’école, les professeurs, les élèves, et l’éducation en général. Cette année pourtant la rentrée a un petit goût particulier ; un goût un peu amer. Partout on entend parler de crise, et notamment de celle des vocations. Il n’y a plus assez de postulants pour le plus beau métier du monde et le nombre de démissions est sans précédent.
Autant vous dire que mon petit cœur de professeure passionnée est mis à rude épreuve depuis quelques semaines à la lecture de tous ces témoignages de professeurs épuisés, exténués par un métier qui les tue peu à peu, démunis, frustrés, déçus et insatisfaits qui décident malgré un profond amour pour l’éducation de rendre leur tablier.
Mon cœur de pédagogue est d’autant plus touché que depuis des années je clame que ce jour allait arriver. Si de nombreuses raisons expliquent cette crise actuelle de l’école, qui d’ailleurs ne semble pas se restreindre à la France, pour moi, il y en a une qui me frappe tout particulièrement : la formation des enseignants.
Pendant des années, nous avons cru qu’étudier l’histoire à l’université faisait un professeur d’histoire, que d’avoir écrit un mémoire sur Molière faisait un professeur de français, que d’être parti étudier la steppe russe faisait un professeur de géographie et nous avons oublié qu’un professeur devrait être, au delà d’un érudit, un pédagogue.
Si vous me demandez sur quoi ont porté mes épreuves au concours pour devenir professeur d’histoire géographie, je vous répondrai qu’on m’a interrogée sur ma connaissance de l’huile en Grèce antique, de la société de cours au XVIIe siècle, de l’aquaculture en France, de l’enrichissement dans l’Empire Byzantin du VIIIe au XIIIe siècle, sur ma capacité à analyser un texte de Margaret Thatcher sur la construction européenne et on m’a demandé ce que je pensais de l’utilisation de la biographie en histoire.
Certes, tout cela est passionnant mais où étaient les cours sur la psychologie des adolescents que j’allais avoir devant moi quelques mois plus tard. Où étaient les cours de pédagogie, pour enseigner à un élève de seconde les ficelles de la dissertation, la méthodologie de l’étude critique, comment mémoriser des dates pour le contrôle, les cours de docimologie pour savoir comment évaluer mes futurs élèves. Où était la formation sur les troubles de l’apprentissage pour que je sache qu’un élève dyspraxique ne pouvait pas faire les cartes de géographie telles que je lui donnais, qu’un élève dyslexique ne pouvait pas lire les sous-titres sur le documentaire que je passais en cours. Où étaient les cours pour apprendre à faire face aux conflits dans une classe de 30 élèves, pour apprendre à individualiser, pour apprendre comment fonctionne le cerveau, comment apprend l’être humain. Déjà, toute jeune étudiante je percevais l’absurdité des épreuves de concours qu’on me faisait passer, l’absurdité de recruter des enseignants uniquement sur leurs connaissances scientifiques et aucunement sur leur compétences pédagogiques, leur passion ou leur motivation.
Pendant dix ans j’ai enseigné comme je le pouvais, en reproduisant certains schémas que j’avais toujours connus, tout en essayant de trouver des astuces pour être efficace, pour piquer la curiosité des élèves et pour rendre les cours les plus intéressants possible. J’ai cherché comment faire progresser les élèves. Je me suis autoformée, j’ai lu les pédagogues (dont on ne m’avait au passage jamais parlé dans la formation pour être enseignante), j’ai testé, j’ai fouillé. Chaque matériel que j’ai créé, chaque astuce que j’ai développée me vient d’une difficulté d’un élève. Les cours de soutien scolaire que je donne depuis plus de quinze ans m’ont permis de comprendre l’importance de la méthodologie et de la pédagogie. Tout ce travail a donné naissance à la classe autonome qui a changé ma vie et la vie de mes élèves.
Aujourd’hui j’ai la chance de pouvoir transmette une partie de mes recherches et de former à la classe autonome des enseignants en France, en Belgique, en Suisse, et en Espagne et tous me disent la même chose : MERCI ! Merci de nous donner de vraies clefs, concrètes, qui viennent d’une réflexion de terrain, qui sont applicables, de parler de pédagogie tangible, de nous fournir des outils efficaces. Tous me disent à quel point ils ont été en manque d’une formation complète qui les prépare vraiment au métier d’enseignant. Même les étudiants qui sont confrontés à la récente réforme du concours pour devenir professeur (qui vise justement à rendre plus concrète la formation) pointent du doigt la sempiternelle absence des neurosciences, sciences cognitives, troubles de l’apprentissage, approches des différentes pédagogies et de la psychologie.
Je ne peux m’empêcher de penser que si nous, les professeurs avions eu des formations pédagogiques complètes, si nous étions préparés pour devenir des vrais professionnels de la pédagogie et de l’enseignement nous aurions évité parfois le désarroi, la frustration, la démotivation, la lassitude, l’incompréhension, la violence, les cris, la colère, les erreurs, les paroles maladroites, la tristesse, l’aigreur, l’insatisfaction et la démission.
Des pédagogies actives, efficaces, qu’elles soient anciennes ou nouvelles, il en existe beaucoup et la classe autonome n’est qu’une idée parmi de nombreuses autres qui ont fait leurs preuves. Il faut rappeler que l’éducation n’est pas une science exacte. Cependant avec un peu de pédagogie on change tout pour l’élève et pour l’enseignant. J’en ai la preuve au quotidien et les professeurs qui ont commencé à tester la classe autonome font tous le même retour : les élèves travaillent vraiment, tous , avec le sourire et ils progressent à une vitesse incroyable. Un professeur d’histoire géographie a vu les moyennes de ses quatre classes de seconde augmenter de 4 points entre le premier et le deuxième trimestre. Un autre a gagné 4h de cours en faisant apprendre par la manipulation plutôt que par le cours magistral avec des résultats aux examens sans précédent. Une autre encore a vu ses élèves les plus difficiles se mettre au travail d’un seul coup et se concentrer en cours. Certains professeurs ont été surpris de voir la vitesse à laquelle les élèves travaillaient et la motivation (dont on dit qu’elle manque souvent aux adolescents) surgir dans leur regard. J’ai vu des professeurs avec 25 ans de métier retrouver la passion et l’excitation en pratiquant la classe autonome.
Je me bats aujourd’hui pour diffuser cette pédagogie, car je sais, je vois les effets qu’elle a sur les élèves et sur les enseignants.
Et si la pédagogie était une des réponses face à cette crise des vocations ?